Aujourd’hui, nous allons vous faire visiter un atelier de fabrication de brique à Tozeur !
D’octobre à avril, le retour des températures douces et agréables font de Tozeur une étape majeure dans le Sud tunisien. En effet, cette oasis dispose d’une immense palmeraie et d’une architecture unique. Toute l’authenticité vient de la brique verdâtre, fabriquée localement qui donne une multitude de décors et de couleurs aux bâtiments de la ville.
En arrivant en ville, vous serez d’abord étonnés par les façades des bâtiments souvent réalisées en briques ocres/verdâtres. Et plus vous approcherez du centre-ville, plus vous apercevrez ces murs offrant des motifs géométriques toujours différents. La visite de la vieille médina, notamment du quartier Ouled el Hadef, est obligatoire et permet d’admirer cet art décoratif exceptionnel (quelques photos sur cette page). Tout le charme de Tozeur se révèlera en début de soirée : douceur de l’air et beauté architecturale mise en valeur par les couleurs du soleil couchant.
Avec le tourisme, la brique est l’un des piliers de l’économie de la ville. Des centaines de familles vivent de cette production locale, dans différents domaines (matière première, fabrication, transport, maçonnerie …).
Cet article présente toute la phase de fabrication de la brique de Tozeur. La visite de la briqueterie permet en effet de voir l’envers du décor, de mieux comprendre d’où provient la richesse de la ville. C’est également une visite émouvante qui fait beaucoup réfléchir sur les conditions de travail dans la région, sur les conséquences du tourisme de masse… On ressort de la briqueterie avec un regard encore plus admiratif sur les décorations murales.
Accès
En voiture
Pour se rendre à la briqueterie, rendez-vous sur la route qui borde la palmeraie (avenue Bourguiba). C’est la route qui mène aux principaux hôtels de la ville. Après un bon kilomètre, tournez à gauche, au niveau de l’hôtel el Arich. La route traverse un bout de la palmeraie et présente rapidement une bifurcation : prenez à droite.
Traversez alors ce quartier populaire. Après 300 mètres, la route se courbe vers la gauche : prenez alors la première à droite (si vous passez devant la Poste, c’est que vous êtes allés trop loin 🙂 ). Continuez tout droit sur environ 1,5 kilomètre, en longeant un mur de brique rouge (délimitant le golf, on en reparlera plus loin dans l’article…). Arrêtez-vous à la fin de la piste, à côté des tas de matériaux issus de la briqueterie.
A pied
Rendez-vous au « Belvédère », machin touristique assez moche. De là, continuez sur la piste au milieu du golf, puis tournez à gauche et empruntez le chemin qui borde le golf.
Vous pouvez vous aider de ce plan GoogleMap pour trouver la briqueterie.
Visite d’un atelier de fabrication de la brique de Tozeur
Les lieux
Comme vous le verrez sur place (ou sur les photos ci-dessous), la briqueterie est en fait un vaste terrain regroupant de nombreux ateliers. On trouve un tas de gravats par-ci, un tas de briques par-là, séparés par une guérite. Et quelques hommes qui travaillent à-même le sol. Le contraste est violent si vous venez directement depuis un hôtel…
Chaque atelier dispose de plusieurs éléments. On commence avec le stock de matière première et à proximité, les bacs de mélange. On trouve également un terre-plein, c’est ici que les briques sont moulées puis séchées. Il y a bien sûr un four, souvent entouré d’une montagne de briques cassées. Enfin, la guérite, offrant un peu d’ombre et dans laquelle les outils peuvent être stockés.
Les matières premières
Tous les matériaux utilisés pour la fabrication de la brique proviennent de Tozeur ou des environs. L’eau est acheminée depuis l’oasis. L’argile et la terre sont extraites à 7 kilomètres de là, à proximité du chott el Jérid. Les palmes taillées en permanence dans la vaste palmeraie de la ville alimentent le four. On peut dire que la briqueterie est la filière d’élimination des déchets végétaux créés par l’industrie de la datte.
Ces matériaux sont pour la plupart acheminés vers les ateliers par charrettes. Chaque atelier dispose de ses propres filières d’approvisionnement, avec plusieurs sous-traitants spécialisés (transporteur d’eau, coupeur de palmes, transporteur de palmes…). En fait, pour 1 artisan-briquetier, il y a au moins 5 personnes chargées de l’approvisionnement.
Le malaxage
Première étape de la fabrication de la brique : l’élaboration de la pâte.
Dans un grand bac, l’ouvrier mélange de l’argile (2/3) et du sol sableux (1/3) avec de l’eau. Pas de machine : tout se fait à la main jusqu’à obtenir un coulis homogène et visqueux, de couleur ocre à beige.
Les quantités pour chaque malaxage sont faibles, 2-3 brouettes environ. En effet, le mélange sèche vite, il est donc important de passer rapidement à la phase suivante.
Le moulage de la brique
Le moulage est réalisé grâce à un cadre en bois. Chaque cadre permet de créer deux briques. Avant chaque opération, l’ouvrier passe le cadre dans un seau d’eau, afin que la pâte se détache facilement lors du retrait du cadre. Puis il remplit les cadres de pâte, s’assure qu’il n’y a pas de bulles restantes et retire rapidement le moule. En effet, l’opération doit être rapide pour que les faces des briques soient lisses.
Le séchage
La 3ème étape consiste au séchage des briques. Cette phase est primordiale pour une bonne qualité de la brique ! Si la brique sèche trop vite, elle va se craqueler. A l’inverse, si elle ne sèche pas assez vite, elle sera encore humide et explosera dans le four.
Pour une bonne réussite, les briques sont couvertes de cendre (issue du four) puis exposées au soleil. La cendre a un rôle majeur : elle permet d’extraire facilement l’humidité, comme un papier buvard. En effet, elle crée une couche autour de la brique de Tozeur, évitant la formation de craquelures à sa surface.
Régulièrement, les briques sont retournées. Le séchage dure plusieurs heures en été, 3 à 4 jours en hiver.
Une fois vidées du surplus d’humidité, les briques sont reprises et grattées sur chacune des 6 faces. L’opération, toujours manuelle, est réalisée à l’aide d’un couteau. La couche de cendre est ainsi éliminée. Les employés stockent alors les briques en petits tas aérés, afin de finaliser le séchage.
Remplissage du four
Les briques séchées doivent passer par une phase de cuisson en four avant d’être utilisables. Le four ressemble à une tour de 4 mètres de hauteur et 3 mètres de diamètre.
La partie inférieure est constituée par le foyer. Vers le bas, une ouverture permet d’alimenter le feu en carburant (les palmes) et en comburant (l’air). La chaleur et la fumée s’évacuent alors vers la partie supérieure de la tour, : c’est dans cette partie que les briques vont cuire.
D’apparence rudimentaire, le four présente une forme idéalement adaptée à la brique de Tozeur. Les briques sont entreposées en quinconce dans le four, créant de nombreux espaces. Cette disposition permet une bonne circulation d’air dans le four. La chaleur est donc bien répartie et assure une cuisson homogène pour toutes les briques.
Au total, un four peut contenir entre 15 000 et 30 000 briques !
La cuisson de la brique de Tozeur
Dès que les four est rempli de briques, on allume le feu. Il faut un minimum de 6 000 palmes pour alimenter le feu pendant 24 heures ! La température monte à près de 1 000 ° et doit rester stable durant toute la durée de la cuisson.
La gestion de la température est essentielle pour que la brique soit de bonne qualité. L’ouvrier reste mobilisé pendant toute la durée de cette opération, qui arrive environ une fois par mois. Le sommet du four est recouvert de terre. Afin de gérer les flux de chaleur à l’intérieur du four, le responsable de la cuisson enlève ou rajoute de la terre au sommet du four.
Après 24 heures de chauffe, les employées stoppent l’alimentation du feu. Il faut 3 à 4 jours pour que la température redescende dans le four ! Les briques sont alors extraites et triées. Les briques mal cuites (celles situées sur les bords), sont bi-colores, généralement rouges et beige. Elles sont mises de côté et pourront servir pour faire des effets de couleur sur les façades.
Les briques ‘normales’ sont stockées en d’énormes tas, en attendant que les acheteurs viennent les récupérer.
Retombées locales
Avec l’utilisation de matières premières locales, la fabrication de la brique de Tozeur offre des retombées importantes sur la ville. Il faut des employés pour creuser l’argile et le sol et les transporter vers la briqueterie. Idem pour l’eau et les palmes.
Prenons l’exemple des palmes. Il faut un minimum de 6 000 palmes pour une cuisson. Avec 6 palmes coupées chaque année sur un palmier, il faut 1 000 palmiers, soit 5 hectares environ, pour alimenter le feu d’une cuisson. Ainsi, pour une cuisson par mois, il faut donc 12 000 palmiers (60 ha) chaque année.
Un ouvrier reste 1/4 heure sur un palmier pour couper les palmes. Pour s’occuper des 1 000 palmiers par mois, il faut donc 250 heures de travail, soit un employé et demi (40h de coupe par semaine). Plus un ouvrier chargé du ramassage des palmes et du transport vers la briqueterie…
On le voit vite, la brique assure de nombreux emplois dans différents domaines. On estime que 60 familles travaillent directement à la briqueterie et 300 familles travaillent indirectement pour la filière.
Réflexions personnelles
Vous l’aurez compris en découvrant le fonctionnement de la briqueterie : tout est resté très rudimentaire. Le travail se fait dans des conditions difficiles : sous un soleil de plomb et dans la poussière, sans outil perfectionné, le tout pour un salaire dérisoire.
En début d’article, nous parlions du mur qui longe la briqueterie et la sépare du golf. Côté golf, le mur est décoré par des peintures joyeuses de palmiers et de dromadaires. Côté briqueterie, le mur est brut, en brique rouge ultra-classique. Une piste passe juste devant les ateliers, certains touristes y passent en trombe en quads ou 4×4.
L’arrivée du tourisme de masse a en effet modifié en profondeur les équilibres de Tozeur, tant au niveau humain (golfeur gagnant plusieurs milliers d’€uros / briquetier gagnant 150 à 200 dinars) qu’au niveau économique (modifications des emplois). C’est également le cas pour le secteur agricole (multiplication des plantations de dattiers / sur-exploitation des ressources en eau).
Les conséquences sont dévastatrices pour les ressources en eau, vitales pour cet oasis. La multiplication des forages (eau potable, irrigation, piscines, golf…) a engendré une baisse importante de la nappe phréatique. De nombreuses sources s’assèchent…
La visite de la briqueterie est, de notre point de vue, un passage obligé pour mieux comprendre la Tunisie et mettre le doigt sur les difficultés sociales du pays. Cette visite permet surtout de voir que derrière le décor, il y a de nombreux emplois qui font que les zones touristiques paraissent paradisiaques à ceux qui n’y viennent qu’une semaine.
Cette visite fait réfléchir, elle secoue les consciences et permet de relativiser un certain nombre de problèmes…
Contact
Anthar, un sympathique briquetier parlant très bien français, nous a expliqué le fonctionnement des ateliers et nous a parlé des difficultés socio-économiques. Laissez-nous un commentaire ci-dessous et nous vous enverrons son numéro de téléphone, il se fera un plaisir à vous faire découvrir sa brique de Tozeur.
Bonne visite !